AaRON: De la musique pour l'âme et pour les pieds
Dix ans après le succès de U-Turn, Simon Buret et Olivier Coursier nous reviennent avec un splendide troisième opus d’où émerge une électro-pop sombre, poisseuse et terriblement envoûtante. Rencontre avec Simon Buret, chanteur du tandem français.GUIDO: Plus de quatre années se sont écoulées depuis votre album précédent. C’est long, non?Simon: On a pas mal tourné après l’album précédent. Plus de deux années de tournée, c’est énorme. Pour être honnête, je suis sorti physiquement et émotionnellement épuisé de cette tournée. Ensuite, j’avais besoin de retrouver une sensation de page blanche, ne pas sentir le poids des choses et me dire que tout était encore possible. Je pense que j’avais également besoin de me dire que je n’étais pas forcément enfermé dans un rôle. Alors, nous avons pris tous les deux un peu de recul vis-à-vis d’AaRON… J’ai joué dans plusieurs films. Olivier a collaboré avec Zazie et le chanteur Auden pour l’enregistrement de leurs albums. Nous éprouvions tous les deux le besoin de faire une pause.
We Cut The Night est né petit à petit, une fois que les choses que nous avions emmagasinées tous les deux durant ces deux années se sont mises à bouillonner tellement… que le besoin d’en reparler est devenu à peu près irrépressible. En fait, l’envie d’exprimer à nouveau quelque chose est revenue d’abord avec le morceau
Blouson noir.
«L'intéressant, ce n’est pas tant les émotions qui nous traversent, mais ce que l’on en fait»
GUIDO: Blouson noir donne en effet le ton au reste de l’album…Simon: J’habitais à New York au moment où j’ai composé ce titre. Cette chanson fait référence à ce manteau de nuit que chacun porte sur soi. Je voulais marier cette idée aux sonorités new-yorkaises. Le bruit de la ville, le béton, les restaurants, les cris, l’architecture. Tout ce qui fait que New York est une ville très énergique et qui peut parfois être écrasante. En l’occurrence, à ce moment-là j’étais disponible à la création et donc un peu fragile. Et j’étais donc comme une éponge. J’ai donc absorbé tout cela, et j’ai forcément dû le recracher. En tant qu’artiste, ce qui est intéressant n’est pas tant les émotions qui nous traversent, mais ce que l’on en fait.
Blouson noir est né dans ces circonstances. J’ai fait écouter la maquette du morceau à Olivier. Et de son côté, il avait travaillé sur un tapis sonore pour le morceau
We Cut The Night. Sans nous parler, nous avions utilisé pratiquement la même matière.
GUIDO: Ce qui a été le déclencheur pour l’écriture de l’album?Simon: Absolument. Nous nous sommes rendus compte que nous voulions aller dans la même direction.
Blouson noir et
We Cut The Night ont donné l’impulsion pour que l’on se remette à travailler ensemble. On ne s’est pas dit: «
tiens, on va enregistrer un album», mais plutôt «
on va entrer en studio». Dans
Blouson noir, il y avait le prisme de plusieurs couleurs, de plusieurs émotions que nous avons creusées par la suite. Dans l’envie de faire danser les gens, dans le voyage.
We Cut The Night et
Blouson noir ont été les deux morceaux qui ont donné l’envie de recommencer. Ensuite, nous avons fait cette collection de chansons, jusqu’au moment où nous nous sommes rendus compte que l’on avait un album.
GUIDO: L’album est très cinématographique…Simon: Olivier et moi fonctionnons très fort avec des images. Ce que l’on essaye, c’est de capter des instants furtifs, des émotions fugitives.
Blouson noir est un peu une carte postale du New York comme je le connaissais au moment où j’y habitais. On a par exemple essayé de traduire le mouvement du métro qui résonnait en-dessous de mes pieds. Le point d’orgue de tout l’album est de connecter le monde intérieur au monde extérieur. Je vois
We Cut The Night comme un instantané d’émotions. C’est un disque qui parle aussi de lâcher prise et d’acceptation. Je pense aussi que nous proposons avec cet album de la musique ‘pour l'âme et pour les pieds’. Pour la première fois, on peut danser sur des morceaux d’AaRON. C'est un album pour faire bouger physiquement, mais aussi emmener ailleurs.
«En studio, c’est un peu comme si nous étions entrés dans un tunnel, le temps s’est arrêté»
GUIDO: Il y a des artistes ou des albums qui vous ont marqués durant l’écriture et l’enregistrement de We Cut The Night?Simon: En sortant de l’exposition de Bill Viola, nous avons ressenti un véritable électrochoc… C'est un artiste très connu pour ses installations monumentales. Emotionnellement, la découverte de ses œuvres a été très forte et très inspirante pour Olivier et moi.
GUIDO: Une fois que vous vous êtes remis au travail à deux, comment cela s’est-il passé concrètement?Simon: La grande différence par rapport à l’enregistrement de notre album précédent, c’est qu’on a eu un studio à notre disposition sans limite de temps. L’album, nous l’avons donc véritablement conçu en studio. Nous avons passé quasi une année entière à travailler sur
We Cut The Night, en étant tous les jours en studio, à réfléchir, à faire des essais. En fait, une fois que nous sommes entrés en studio, c’est un peu comme si nous étions entrés dans un tunnel. Le temps s’est arrêté.
GUIDO: L’album a fait l’objet d’une sorte de teaser, par John Malkovich!Simon: Nous avions besoin de trouver une incarnation à l’album. Plutôt que de présenter les choses d’une manière classique, nous avions envie de proposer une préface. Un peu comme lorsque l’on va lire un livre et que l’on découvre quelques phrases d’un autre auteur qui ramène les choses à l’essentiel et qui dirige le lecteur. Et directement, nous avons pensé à John. Je lui ai écrit, pour lui raconter la genèse de
Blouson noir. J’avais écrit ce poème qui est comme un mantra, qui se retrouve à l’arrière de l’album et qui reprend des phrases de plusieurs morceaux de
We Cut The Night. J’ai proposé ce poème à John. Il a ensuite écouté
Blouson noir, ainsi que l’album. Et directement, il a accepté de bosser avec nous. Malkovich est selon moi un acteur surréaliste. Il incarne un mouvement à lui tout seul, un peu comme Bill Murray ou Grace Jones. Et je trouve que ce teaser est absolument magnifique.
GUIDO: Concrètement, cela ne doit pas être simple de pouvoir entrer en contact avec John Malkovich…Simon: Eh bien, au contraire… Une simple lettre a suffi. Le travail réunit beaucoup de monde. Ça se fait souvent comme ça, en fait. Quand tu as un truc à raconter, soit les gens sont touchés, soit ils ne le sont pas. Ce n'est pas parce que c'est un gars qui a une certaine aura qu'il fonctionne différemment. Il est comme toi et moi, il aime bosser sur des choses qu’il apprécie et il aime la création.
«On a sculpté les sons comme on sculpterait la matière»
GUIDO: Pourquoi avoir décidé d’appeler l’album We Cut The Night?Simon: Ce titre symbolise l’idée qu’ensemble, on peut tout couper. Notamment la solitude lorsqu’on est deux. Toute cette solitude, ce silence, ce vide. Ensemble, on coupe la nuit. Une belle image nous est venue, cette image de traverser les choses.
GUIDO: Vous travailliez avec des instruments plutôt classiques sur vos précédents albums. Pourquoi ce nouveau virage électro?Simon: En fait, cela s’est fait assez naturellement. Nous avons toujours plus ou moins mélangé instruments classiques et sons électroniques. Mais sur cet album, nous avons plus joué sur les textures électro, on a sculpté les sons comme on sculpterait la matière. D’une certaine manière, nous avons voulu effacer les frontières avec les instruments. Ce qui compte au final, c’est que les émotions musicales fusionnent avec les paroles.
AaRON: We Cut the Night (PIAS)Article ici